Près d'un an après l'invalidation par la Cour de justice de l'UE de l'accord commercial UE-Maroc pour avoir inclus le Sahara Occidental occupé, Bruxelles semble prête à tester une fois de plus les limites du droit international.
La flotte de pêche marocaine au Sahara Occidental occupé approvisionne le marché de l'UE en produits de la pêche. Ces pêcheurs artisanaux de Dakhla sont presque tous originaires du Maroc.
Selon un document daté du 20 août 2025 du gouvernement danois, qui assure actuellement la présidence du Conseil de l'UE, la Commission Européenne sollicite un mandat pour ouvrir des négociations commerciales avec le Maroc, dans le but explicite de poursuivre les importations en provenance du Sahara Occidental occupé.
« La proposition de la Commission d'ouvrir des négociations avec le Maroc vise à mettre l'accord en conformité avec les arrêts de la CJUE, le droit de l'UE et le droit international, tout en préservant les relations commerciales existantes et en permettant ainsi la poursuite des importations de produits du Sahara Occidental aux mêmes taux tarifaires préférentiels que ceux applicables au Maroc », peut-on lire dans le document.
Cette évolution est pour le moins controversée. Cet automne, 50 ans se seront écoulés depuis l'invasion militaire non provoquée, injustifiée et illégale du territoire du Sahara Occidental par le Maroc.
La proposition prévoit la mise en place d'un mécanisme de surveillance pour « vérifier en permanence » que le peuple sahraoui bénéficie des « avantages » des échanges commerciaux entre l'UE et le Maroc sur son territoire occupé.
Le document danois révèle que la Commission Européenne a demandé au Conseil de l'Union Européenne (UE) un mandat pour renégocier l'accord commercial entre l'UE et le Maroc fin juillet.
La demande de la Commission intervient ainsi près de dix mois après que la Cour de justice de l'Union Européenne (CJUE), ait dans trois arrêts historiques rendus le 4 octobre 2024, annulé les accords de commerce et de pêche de l'UE avec le Maroc dans leur application au Sahara Occidental. La Cour a une fois de plus souligné que le Sahara Occidental est un territoire « séparé et distinct » du Maroc en vertu du droit de l'UE, et que tout accord avec le Maroc ne peut s'y appliquer qu'avec le consentement du peuple sahraoui, titulaire du droit à l'autodétermination.
Les arrêts d'octobre 2024 sont les derniers d'une série de dix arrêts dans lesquels la Cour a constamment soutenu que les accords UE-Maroc ne peuvent s'appliquer au Sahara Occidental sans le consentement du peuple de ce territoire. Voyez ci-dessous la chronologie des affaires judiciaires UE-Maroc.
Si les derniers arrêts ont souligné que le consentement exprès est l'idéal, ils ont reconnu la possibilité d'un consentement présumé, mais seulement sous des conditions strictes : l'accord ne doit pas créer d'obligations pour le peuple – et non pour la population – du Sahara Occidental, et celui-ci doit bénéficier d'avantages tangibles, substantiels et vérifiables, proportionnels à l'ampleur de l'utilisation des ressources.
C'est à travers cette notion de consentement présumé que la Commission européenne cherche à établir un nouveau cadre commercial pour le territoire, via le Maroc.
Il est important de noter que la Cour a observé que la plupart des Sahraouis vivent en exil et que seulement environ 25 % de la population résidant actuellement au Sahara Occidental est sahraouie. Par conséquence, tout avantage doit bénéficier aux Sahraouis vivant encore sur le territoire, mais aussi à ceux qui l'ont fui.
« Toute négociation commerciale ou tout mécanisme de surveillance ne peut être crédible que s'il garantit la pleine participation du Front Polisario, reconnu par la Cour de justice de l'UE comme représentant du peuple sahraoui et habilité à défendre son droit à l'autodétermination devant la Cour », a déclaré Sara Eyckmans de Western Sahara Resource Watch. « Sans l'implication du Polisario, ces mécanismes et négociations ignorent le peuple même dont les droits sont en jeu et ne respecteraient pas l'obligation de l'UE de respecter l'autodétermination. Nous appelons les États membres de l'UE à rejeter toute proposition de la Commission qui instrumentalise la notion de « consentement présumé » pour contourner le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. L'UE doit défendre le droit international et ne pas récompenser les pires violations de l'ordre juridique international », a déclaré Eyckmans.
Il y a quatre semaines, WSRW rapportait que les représentants commerciaux de l'UE et du Maroc étudiaient les moyens de contourner les décisions de la Cour sur le Sahara Occidental. Les propositions en discussion comprenaient des mécanismes permettant d'affirmer que le peuple sahraoui bénéficiait des échanges commerciaux entre l'UE et le Maroc, tout en évitant l'obligation d'obtenir son consentement. La nouvelle demande de mandat de la Commission semble s'appuyer directement sur ces idées.
Outre la proposition d'un mécanisme de suivi des prétendus avantages pour le peuple sahraoui de l'application de l'accord commercial UE-Maroc à son territoire, le projet de mandat de la Commission prévoit également des dispositions sur l'étiquetage des produits provenant du Sahara Occidental. Cela fait suite à un arrêt distinct de la CJUE d'octobre 2024, entré en vigueur immédiatement, concluant que les marchandises provenant du territoire ne peuvent pas être marquées comme « Maroc », mais doivent être étiquetées comme originaires du Sahara Occidental.
Le Comité des représentants permanents le COREPER devrait examiner la demande de la Commission le 10 septembre.
Dans une déclaration à Reuters en juin dernier, le porte-parole de la Commission Européenne pour les affaires étrangères et la sécurité a précisé que le commerce de produits agricoles volés dans un territoire occupé « constituerait la base de futures mesures restrictives ». Mais cela concernait l'Ukraine, où l'UE a pour position de s'opposer à l'occupation brutale, et non de la soutenir, comme elle le fait au Sahara Occidental.
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Dans une note juridique, le Conseil de l’UE admet que la plus haute juridiction de l’UE a définitivement annulé les accords de commerce et de pêche UE-Maroc tels qu’ils s’appliquaient au Sahara Occidental, marquant une victoire claire pour la lutte du peuple sahraoui pour l’autodétermination.
Trois mois se sont écoulés depuis que la Cour de justice de l'UE a interdit les accords commerciaux UE-Maroc au Sahara Occidental occupé. La Commission européenne ne sait toujours pas comment s'y prendre.
… en seulement un an, et dans le cadre du seul accord commercial UE-Maroc.
WSRW propose ici un résumé les principales conclusions des arrêts historiques rendus le 4 octobre 2024 sur le Sahara Occidental par la Cour de justice de l'UE.